MALACHIA ORMANIAN |
PRÉFACE |
La publication d’une histoire de l’Église arménienne, écrite par l’un de ses plus éminents représentants, paraîtra d’une utilité incontestable. C’est un tableau précis de ce christianisme oriental avec ses doctrines, ses croyances, son sacerdoce, en même temps qu’une oeuvre d’enseignement politique et social que son auteur, dans un but de vulgarisation, a voulu rendre accessible à tout le monde; car il ne saurait être question ici d’un récit complet des annales de l’Arménie depuis sa conversion au christianisme. L’auteur aurait dû soulever une abondante documentation et il a craint de fatiguer le lecteur de détails qui l’auraient rebuté. Il s’est borné à mettre en relief les événements les plus saillants et les traits les plus propres à nous faire connaître cette partie si intéressante de la société orientale. Cette histoire puise un surcroît d’intérêt dans ce fait qu’elle a été écrite par un enfant de l’Orient, Mgr Ormanian, qui a occupé durant douze années le siège patriarcal de Constantinople. Il ne s’agit donc pas ici d’une de ces banales productions littéraires écrites par des écrivains qui se copient les uns les autres. Il ne sacrifie rien au pittoresque : dans son livre il n ‘y a que des faits et des idées. On sentira également combien il est de bonne foi; on s’apercevra qu’il est écrit non seulement avec conviction, mais avec une indépendance de pensée qui surprendra le lecteur européen, peu accoutumé à voir des ecclésiastiques écrire de ce style. On se tromperait pourtant en croyant que les sentiments qui y sont exprimés appartiennent en propre à l’auteur. Le libéralisme dans les idées tient à la constitution essentiellement démocratique de l’Église arménienne. La première chose qui frappe quand on étudie la société qu’elle groupe et encadre c’est que le clergé n ‘y forme point une caste séparée. La nation et l’église n ‘y sont qu’une seule et même chose. Entre elles, il n’y a ni conflit d’influence ou d’autorité, ni antagonisme d’aucune sorte. Et qu’on n’aille point imaginer que parce qu’elle est gouvernée par un patriarche la nation arménienne vit sous la domination du clergé. On verra au cours de cette histoire que tous les actes de ce haut dignitaire ecclésiastique sont subordonnés à un minutieux contrôle et que l’administration de l’église est entièrement aux mains des laïques. « En Turquie, écrit l’auteur, l’église est gérée par une éphorie exclusivement composée de laïques élus par la paroisse » . Il ajoute plus loin « que la participation de l’élément laïque s’affirme d’abord par l’élection des ministres du culte. » On remarquera également que ce clergé, qui est élu et contrôlé dans ses actes, ne vit que d’aumônes et de donations volontaires, ce qui le met entièrement à la discrétion des fidèles. Ainsi le laïque est dans l’église et le clergé fait étroitement corps avec la nation. Enfin les deux éléments se mêlent et se pénètrent si bien que c’est surtout pour cette nation que semble avoir été faite l’expression d’église nationale. Elle est d’autant plus justifiée que c’est depuis sa conversion au christianisme que cette nation a pris conscience d’elle-même. C’est sur un principe de foi qu’elle s’est constituée au IVe siècle, et depuis elle n’a pas cessé de confondre ses destinées avec celles de l’église. Celle-ci s’est révélée comme un merveilleux principe d’organisation et de conservation. Dans l’église, où il s’est réfugié, l’Arménien a trouvé non seulement un centre de ralliement, mais l’arche où s’est fidèlement conservé tout ce qui l’attachait au passé: traditions, moeurs, langue et littérature. C’est, sans doute, à cette étroite identité d’intérêt, à cette harmonie de sentiments avec l’élément laïque que cette église est redevable de ses idées de tolérance et de libéralisme. Elle le doit encore à des raisons plus profondes. Elle croit que nulle église, si considérable soit-elle, ne représente la chrétienté entière; que chacune d’elles, prises isolément, peuvent se tromper et qu’à l’église universelle seule appartient le privilège de l’infaillibilité dans ses jugements dogmatiques; mais si les dogmes doivent rester intangibles, parce qu’ils sont le fil conducteur qui rattache le présent au point de départ, en revanche, elle fait bon marché de la doctrine. Celle-ci n’est que l’expression du moment et par conséquent sujette à variation, car rien ne peut se soustraire à la loi de transformation. Si je ne m’abuse, tous les progrès sont en germe dans ces théories. Le rôle des églises orientales comme principe de conservation, l’auteur l’explique d’un mot quand il dit que les églises primitives se constituèrent par ordre de 3 nationalité. La raison de ce groupement fut déterminé, sans doute, par la nécessité où l’on fut d’évangéliser les masses dans leur propre langue. On dut inventer des alphabets pour les idiomes qui en étaient privés afin de leur rendre accessibles les livres saints, et ce fut là, pour les races illettrées, le premier pas vers la vie intellectuelle. Tel fut le cas des Arméniens au Ve siècle et des Slaves au IXe. Sans cette circonstance il est probable que la plupart de ces éléments ethniques n’eussent formé que des agglomérations sans consistance qui se seraient fondues dans la masse des peuples conquérants. Mais pour durer, ils n’eurent qu’à se grouper autour de leurs églises, à l’ombre desquelles ils ont vécu, attendant l ‘heure providentielle des revendications. C’est ainsi que se sont révélées une foule de nationalités que l’on croyait bien mortes. Au XVlIIe siècle, on ignorait les Grecs, et nul ne pensait alors que les rayas de ce nom dussent jamais se constituer en corps de nation indépendante. Mais après leur affranchissement, publicistes et diplomates ne virent plus en Orient que des Grecs orthodoxes. Ils ignoraient bien davantage les Slaves du Danube et des Balcans que l’on confondait volontiers avec ces derniers qui s’étaient brusquement révélés à l’attention du monde européen en 1821. Les Grecs eux-mêmes mettaient une complaisance plus qu’indiscrète à entretenir cette erreur. « Sont comprises sous la dénomination de Grecs-orthodoxes tous les chrétiens, à quelque race qu’ils appartiennent, vivant sous le sceptre des Osmanlis « , écrivait Pitzipios en 1856. Ce qu’on a appelé le grand mouvement des nationalités a dissipé ces illusions. Eveillé au contact des idées occidentales, le sentiment national, qui dormait dans la conscience de ces peuples n’a pas été moins vif que chez les Italiens et les Allemands. Ils se sont pris à revivre la vie nationale comme si elle n’avait jamais subi d’interruption, renouant les traditions et s’assimilant tout ce qui peut favoriser leur développement. Comme les sept dormans de la Légende, ils se sont réveillés sans se douter qu’ils sortaient d’un sommeil plusieurs fois séculaire. Ce qui est non moins merveilleux, c’est la communauté de sentiment et d’esprit qui unit le peuple arménien malgré sa dispersion à travers le monde. C’est pour toutes ces raisons que la question religieuse ne cesse d’être vitale parmi les communions chrétiennes de l’Orient. Le prestige de la religion y est encore grand et c’est à peine si l’esprit moderne les a effleurées; et si les nouvelles générations ne se laissent plus guider par le clergé avec la même docilité qu’autrefois, néanmoins personne ne songe à rompre le pacte que la nation a contracté avec l’Église. J’ai eu souvent l’impression très nette que même lorsqu’il cesse de croire, l’Arménien ne cesse pas pour cela de lui rester fidèle. Il sent d’instinct que si elle venait à être sapée, tout s’écroulerait. Si, depuis sa conversion au christianisme, cette nation a subi un arrêt de développement, elle le doit à la fatalité de circonstances historiques exceptionnelles. Isolé dans ses hauts plateaux, sur l’un des grands chemins que suivirent les migrations des peuples et des bandes conquérantes, le pays arménien a été le champ clos où se sont vidées toutes les vieilles querelles asiatiques. Les invasions ont succédé aux invasions et le pillage aux carnages, à partir du VIIe siècle. Bref, son histoire n’est qu’un long martyrologe, pour me servir de l’expression de l’auteur. L’Arménie a dû céder à la force, mais en fléchissant sous le poids d’une destinée sans pareille, elle a pu du moins sauver l’essentiel de ce naufrage, c’est-à-dire, avec la vie, les éléments d’une régénération qui a profité à tous et qui sera l’une des forces de la Turquie reconstituée. On sait que sous l’influence de leur principe théocratique, les Turcs ne changèrent presque rien à la condition des peuples qu’ils soumirent. Ils se bornèrent à leur imposer la prescription du Coran qui commande aux croyants de laisser aux vaincus leurs biens à la condition de payer l’impôt de capitation (Kharadj). Mettant à profit ces dispositions, les chrétiens s’organisèrent de leur mieux et vécurent de leur vie propre tout en restant soumis à la domination à laquelle ils étaient incorporés. Le patriarche, qui recevait l’investiture de la Porte, devint le chef légal de la nation (Millet bachi). Chef responsable vis à vis du Pouvoir, il veillait à la perception des impôts qui s’opéraient par l’intermédiaire de ses agents et sous sa garantie. Devant son tribunal étaient portées des affaires litigieuses, civiles ou criminelles, celles qui ont rapport au mariage et à l’état civil. Les grecs étaient soumis à un régime analogue. D’ailleurs, Mahomed II n’avait fait qu’appliquer aux Arméniens les capitulations qu’il avait octroyées au patriarche Gennadius. On remarquera que cette union étroite des Arménien avec leur église ne les a point empêchés d’évoluer dans le sens des idées modernes. Malgré leur condition précaire, leur action sociale et civilisatrice, a été plus considérable qu’on ne 4 pense. C’est principalement par leur intermédiaire que leurs compatriotes musulmans ont pris tout d’abord contact avec les idées et les usages de l’Occident. C’est parmi eux que le sultan Mahmoud trouva les premiers auxiliaires de la réforme dont il fut l’initiateur impitoyable. Il sut utiliser leurs aptitudes dans les affaires, leur habileté dans le maniement des finances; et, sans les désordres de l’administration, l’Orient aurait pu tirer un meilleur parti de leur génie commercial et industriel. L Après le Hatt-i-Cherif de 1839, qui fut la charte d’affranchissement des chrétiens et le premier pas vers la laïcisation de l’État, leur première pensée fut de s’approprier quelques-unes des idées et des méthodes de l’Europe moderne. Avant tout, ils s’attachèrent à diminuer les pouvoirs du patriarche au profit de l’élément laïque. C’était revenir à l’esprit de la constitution de l’église qui exclut toute prépondérance ecclésiastique dans le domaine civil. En 1847, ils instituèrent, malgré l’opposition de la notabilité d’argent, deux conseils destinés à siéger à côté du patriarche: un conseil composé d’ecclésiastiques pour surveiller les actes de son administration spirituelle, et un conseil laïque pour s’occuper des affaires civiles. Enfin en 1860, la nation, enhardie par ce succès, se donnait, avec l’agrément de la Porte, une constitution dont l’idée fondamentale s’inspirait du dogme de la souveraineté populaire. Elle ne réglait, il est vrai, que des intérêts particuliers, mais elle n’en était pas moins une révolution considérable dans les moeurs de l’Orient. Cette constitution maintenait le Patriarche au sommet de la nation comme l’intermédiaire officiel de la communauté avec la Porte. Ils ne peuvent songer à modifier ce point important du statut national sans mettre en péril le reste des privilèges octroyés; mais on tourna la difficulté en subordonnant au contrôle de l’assemblée générale les actes de ce dignitaire. A la faveur de ces dispositions, toute une floraison d’oeuvres sociales s’épanouit spontanément, qui marquait combien était grande dans les masses l’impatience d’une situation meilleure. Son premier soin fut d’organiser l’instruction publique sur la base de la gratuité. la nation, est-il dit dans l’exposé des principes généraux, veut que les enfants des deux sexes, quelle que soit leur condition, reçoivent tous sans exception les bienfaits de l’instruction et soient au moins initiés aux connaissances indispensables. C’était déjà le programme que la France républicaine devait adopter une vingtaine d’années plus tard sur l’enseignement primaire. Pour subvenir à leur entretien la nation, qui payait déjà sa part des impôts à l’État, dut s’infliger un surcroît de sacrifices. Ils étaient d’autant plus lourds qu’elle devait également subvenir à l’entretien d’un grand nombre d’institutions hospitalières et de prévoyance. Ces améliorations sociales, que le gouvernement tolérant d’Abdul-Aziz avait rendues possibles, ne pouvaient manquer d’exciter la méfiance de son ombrageux successeur. Abdul-Hamid vit de mauvais oeil ce paradoxe étrange d’une administration libérale fleurir à l’ombre de son gouvernement despotigue ; de l’ArménIen, asservi et pressuré comme Sujet ottoman, mais libre en tant que membre de son église. Cette anomalie ne pouvait durer. Suspects à la fois en Turquie et en Russie, les Arméniens n’ont plus eu depuis un seul instant de repos. Aussi aucun peuple n’a salué avec une joie plus sincère qu’eux le régime de liberté que le parti Jeune Turc a imposé d’autorité en juillet 1908. Ils ont vu dans cet événement inattendu non seulement une garantie contre les excès d’un gouvernement arbitraire, mais la consécration d’un progrès qui était déjà dans leurs moeurs et vers lequel allaient leurs inclinations naturelles. Il y avait là une communauté de pensée qui pouvait puissamment aider à la réconciliation : c’est ce qui est arrivé. Mais le nouveau gouvernement a essayé d’aller plus loin. Il a cru que le moment était venu de supprimer, comme inutiles, les privilèges des communautés religieuses. Il a pensé, qu’à un régime nouveau il convenait d’adapter des conditions nouvelles. Sans doute, les Arméniens ne sont pas éloignés de partager cette opinion. Ne nourrissant aucune idée particulariste, ils sont disposés à n’apporter aucune entrave à l’oeuvre de conciliation. Il savent que la situation de fait qui existe aujourd’hui est en contradiction avec le principe fondamental du régime parlementaire et qu’aussi longtemps que subsistera cette opposition, on ne pourra pas dire que l’autorité législative repose sur la volonté nationale; mais encore faut-il que l’oeuvre d’union s’accomplisse sur un pied d’égalité. Sans méconnaître l’importance des résultats acquis, les chrétiens attendent du gouvernement un nouvel effort. Menant l’évolution jusqu’au bout, il doit orienter l’État dans le sens d’une laïcisation aussi complète que possible. C’est alors que tomberont d’elles-mêmes les cloisons étanches qui séparent les diverses nations en présence; car si la religion leur a assuré la durée, elle les a en même 5 temps moralement rendues réfractaires les unes aux autres. Un mouvement général de réformes peut seul amener ce résultat: il a pour condition première – qu’on ne l’oublie point – une préparation des esprits par l’école et par la pratique de la liberté. Ce n’est qu’à ce prix qu’elles pourront s’unir ensemble et former le groupe solide qui fera la patrie commune grande et prospère. Bertrand BAREILLES. Constantinople, le 1er juin 1910. (Bertrand Bareilles a été précepteur des enfants du Sultan.) 6 L’ÉGLISE ARMÉNIENNE I. LE BUT QUE NOUS NOUS PROPOSONS Ce n’est pas un travail de longue haleine que nous offrons au public. Les questions touchant l’Église en général ou les Églises en particulier ouvrent un trop large champ aux discussions critiques, historiques et philosophiques, pour que nous nous y engagions; et, d’ailleurs, ce n’est point sur ce terrain que nous entendons nous placer. On conviendra que l’Église garde encore intacte son existence, son influence même, en dépit des coups décisifs que les esprits ont cru lui avoir portés. Certains points de doctrine ont été réputés absurdes, des faits historiques ont été relégués parmi les légendes, néanmoins l’Église et les Églises ne cessent, en plein vingtième siècle, de faire preuve d’une remarquable vitalité; et les tendances du progrès intellectuel, civil et politique, sont obligées de tenir compte de l’action qu’elles exercent encore sur les âmes. Mais abandonnons les généralités pour arriver au but que nous nous proposons. L’Arménien, jadis presque oublié, est entré dans l’actualité depuis quelques dizaines d’années. Son passé, son présent et son avenir constituent autant de sujets d’études ; on a fini par s’intéresser à cette race antique qui, à travers les siècles et les plus cruelles vicissitudes, n’a cessé de donner des témoignages de son inextinguible vitalité, Si, pour arriver à pénétrer le secret de la vie d’une nation, il est indispensable de faire une étude de sa religion, on pensera qu’une oeuvre comme celle-ci n’est pas sans utilité; surtout, si l’on veut bien se souvenir que l’Église Arménienne -laquelle, dans notre cas, s’identifie étroitement avec la nation – a joué un rôle considérable dans la vie nationale. Aussi bien cette Église est à peine connue dans le monde. Les écrivains les plus versés dans les études ecclésiastiques et sociales n’ont guère porté leur attention sur elle. Cependant, malgré sa situation modeste et l’obscurité de sa condition, elle ne laisse pas d’avoir une importance de tout premier ordre par la qualité des principes et des doctrines qui sont en elle. Ces principes sont dignes, croyons-nous, de servir de base à l’oeuvre idéale de l’unité et de la pureté chrétiennes. Mais n’anticipons pas sur les conclusions, et essayons plutôt d’entrer dans le vif du sujet. Pour cela nous allons tout d’abord donner des informations brèves, mais précises, sur les points essentiels de l’histoire, de la doctrine, de la discipline, du régime, de la liturgie et de la littérature de cette église. De façon telle que la conclusion à laquelle je me propose de conduire le lecteur; par une pente aisée et naturelle, se dégage logiquement et s’impose à son esprit. HISTOIRE II. ORIGINE DE L’EGLISE ARMÉNIENNE Les faits qui se rapportent aux origines de chaque église se cachent sous un voile impénétrable ; ils échappent à nos investigations par l’absence de documents propres à nous éclairer sur les actes de premiers apôtres et sur l’action apostolique en général. L’église romaine, qui, à cet égard, s’est trouvée dans une situation plus favorable, du fait même qu’elle a pris naissance dans la capitale de l’empire, se trouve aux prises avec les mêmes difficultés, quand il s’agit de prouver le séjour de saint Pierre à Rome. Et pourtant, c’est là, pour elle, un fait essentiel ; car il sert de base à tout son système. Faute de mieux, l’histoire ecclésiastique se contente de preuves de grande probabilité, de raisonnements basés sur la tradition et les faits continués. Il suffit que l’ensemble des présomptions ne soit pas en opposition avec les données positives et avérées de l’histoire. On ne saurait demander rien de plus à l’église arménienne pour justifier ses origines. III. L’ERE PRIMITIVE DE L’EGLISE ARMÉNIENNE Ce fut, en 301, au commencement du quatrième siècle, que le christianisme devint religion dominante en Arménie. Avant cette date, il n’avait cessé d’être en butte aux persécutions. Seulement nous devons convenir que les mémoires, qui nous sont parvenus sur l’existence et les progrès du christianisme en Arménie pendant les trois premiers siècles, sont aussi rares que dénués d’importance. ils ne sauraient soutenir, au point de vue de l’abondance des informations, aucune comparaison avec les documents qui se rapportent à la même période de l’histoire gréco-romaine. mais le manque de documents ne constituent nullement une preuve de non-existence d’un fait réel. IV. CONVERSION COMPLÈTE DE L’ARMENIE La date de la conversion complète de l’Arménie au christianisme, ou de sa proclamation comme religion dominante, est fixée communément à l’an 301, suivant les études chronologiques les plus précises. Des auteurs récents la portent même à l’an 285, mais on ne saurait la considérer comme plus probable. La date de 301 suffit pour démontrer que l’Arménie a été le premier état du monde à proclamer le christianisme comme religion officielle, par la conversion du roi, de la famille royale, des satrapes, de l’armée et du peuple. La conversion de Constantin ne devait avoir lieu que douze ans plus tard, en 313. V. FORMATION DE LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE Par l’état des services rendus, saint Grigor était naturellement désigné pour être le chef de l’église arménienne. Élevé à cette dignité par la volonté du roi et de la nation, il reçut la consécration épiscopale des mains de Léonce, archevêque de Césarée de Cappadoce, en 302. Le fait est confirmé par tous les historiens et par la tradition nationale. Seulement cette consécration donna lieu à une controverse en ce qui concerne sa signification, et par suite, sur la nature des relations hiérarchiques du siège d’Arménie avec le siège de Césarée. D’après les grecs, le siège d’Arménie était suffrageant de celui de Césarée, et la scission qui les sépara au Ve siècle, devrait être imputée à un schisme. D’après les Latins, le siège d’Arménie, se rattachant originairement à celui de Césarée, n’aurait été érigé plus tard en siège autocéphale que par un privilège du pape Sylvestre I. Tel n’est pas l’avis des arméniens, qui croient que le siège d’Arménie est de création apostolique, et qu’il fut indépendant dès son origine. Il est certain qu’il ne fut que renouvelé par saint Grigor, et la consécration qu’il reçut de Césarée, n’implique nullement une subordination ni une dépendance hiérarchique. VI. L’EGLISE ARMÉNIENNE AU QUATRIÈME SIÈCLE Saint Grigor a gouverné l’église arménienne durant un quart de siècle, accomplissant le nécessaire pour lui donner une organisation complète et solide. Nous lui devons des canons, qui portent son nom ; des homélies qui lui sont attribuées, et certaines dispositions disciplinaires et liturgiques remontent à son époque. Il créa près de quatre cents diocèses épiscopaux et archiépiscopaux pour le gouvernement spirituel de l’Arménie et des pays environnants. Il présida à la conversion de la Géorgie, de l’Albanie Caspienne et de l’Atropatène, où il envoya des chefs et des ecclésiastiques. Il mourut au moment de la convocation du concile de Nicée (325). Ses fils lui succédèrent ; d’abord le cadet, qui était célibataire, saint Aristakès (325-333), puis l’ainé, saint Vertanès (333-341), qui était marié. Ce dernier eut pour successeur son propre fils, saint Houssik (341-347). Le maintien du patriarcat dans la famille de saint Grigor était dans les voeux de la nation, soit qu’elle voulût par là rendre hommage à son grand Illuminateur, soit qu’elle subît à son insu l’influence d’un usage païen. Le refus des fils de Houssik d’entrer dans les ordres amena au siège patriarcal Paren d’Aschtischat, un parent collatéral (348-352), bientôt pourtant il retournait à la succession directe, par l’élection de saint Nersès, petit-fils de Houssik (353-373). Mais comme le fils unique de ce dernier n’avait pas l’âge canonique, la nation y pourvut en appelant successivement Schahak (373-377), Zaven (377-381) et Aspourakès (381-386), tous issus de la famille sacerdotale d’Albanius, qui avait secondé saint Grigor, dans la personne du fils de Nersès, saint Sahak (Isaac), qui accomplit sur le trône patriarcal le jubilée entier (387-439). Certes, l’exactitude de la chronologie des patriarches du quatrième siècle est contestée par les historiographes modernes, mais les données, qui nous ont servi à l’établir, sont le résultat d’études directes faites aux sources primitives. |